« La honte ! » de Jon Ronson
Ce livre est une enquête à la fois personnelle et journalistique menée par le grand reporter américain Jon Ronson. Il cherche à comprendre pourquoi certaines personnes sont anéanties par la honte quand d’autres semblent sortir indemnes d’épisodes de lynchage sur les réseaux sociaux. Il nous partage dans cet ouvrage passionnant ses réflexions, ses hypothèses et sa démarche pour les confronter aux témoignages des victimes et acteurs de shitstorms*. Il a notamment pu rencontrer Justine Sacco qui, suite à un tweet très maladroit, qui se voulait être de l’humour noir mais a été pris pour un tweet raciste, s’est faite renvoyer de son travail en quelques heures !
Cette lecture est extrêmement instructive et éclairante pour donner à voir la complexité de ce qui est à l’œuvre dans ces situations paroxystiques qui se produisent fréquemment sur les réseaux sociaux. Elle permet de prendre la mesure de ce qui se joue, des conséquences à long terme que les raids numériques peuvent entraîner et donne des pistes pour les digérer et s’en relever.
Certains passages très « américains », notamment ceux concernant un groupe de travail sur la honte, sont caricaturaux et peu intéressants, mais la lecture reste globalement passionnante et très instructive.
Dans sa conclusion, l’auteur propose l’hypothèse intéressante que les personnes qui s’écroulent après une shitstorm (mais aussi ceux qui participent aux attaques en meute) sont ceux qui pensent qu’ils ont des choses à prouver aux autres, donc ceux qui sont les plus susceptibles de ressentir de la honte.
Verbatim :
« La foule n’est impressionnée que par des sentiments excessifs… Exagérer, affirmer, répéter, et ne jamais tenter de rien démontrer par un raisonnement sont des procédés d’argumentation bien connus des orateurs. »
Citation de « Psychologie des foules » de Gustave Le Bon
« Il avait organisé une série de déjeuners – Les Déjeuners de Gustave Le Bon – pour des politiciens et des personnes éminentes de la société. Il s’asseyait à la tête de la table avec une clochette à ses côtés. Et si l’un des convives disait une chose avec laquelle il n’était pas d’accord, il soulevait la clochette et la faisait tinter jusqu’à ce que la personne se taise. »
« Beaucoup sont des jeunes qui n’ont aucun pouvoir et qui s’ennuient, ils sont en manque de stimulation et se sentent persécutés, m’a-t-elle répondu. Ils savent qu’ils ne peuvent pas être ce qu’ils veulent, alors ils vont sur Internet. Sur Internet, on a le pouvoir dans des situations où on serait autrement impuissants. »
Témoignage de Mercedes accusée d’avoir lancé une attaque de déni de service contre Paypal à propos du forum 4chan
« C’est en nous racontant notre propre histoire, l’histoire de qui nous croyons être, que nous nous bâtissons une conscience. J’ai le sentiment qu’une réelle humiliation publique est un conflit entre la personne qui tente d’écrire son propre récit et la société qui tente de lui en écrire un autre. L’une des histoires essaie d’effacer l’autre. Et pour survivre, vous devez écrire votre propre histoire. Ou… (Mike m’a regardé) vous en écrivez une troisième. Vous réagissez au récit qu’on vous impose de force. » Il a marqué une pause. « Vous devez trouver le moyen de ne pas respecter l’autre récit, a-t-il ajouté. Si vous y croyez, il vous broiera. »
Témoignage de Mike Daisey auteur et acteur américain qui a dénoncé les conditions de travail dans les usines Apple avec des inexactitudes factuelles découvertes par la suite qui ont nui au fond pourtant réel de son combat
« Il peut être quelque peu paradoxal de considérer la honte comme un « sentiment », car si c’est douloureux au début, des humiliations constantes tuent les sentiments. La honte, comme le froid, est, par essence, l’absence de chaleur. »
Citation de « Violence : Reflections on Our Deadliest Epidemic » de James Gilligan
« L’un de ces actes était puissant et important (utiliser les réseaux sociaux pour créer un nouveau champ de bataille où défendre les droits civiques). L’autre était une alternative cathartique inutile et moche. Et comme c’est nous qui avons le pouvoir, il nous incombe de faire la différence. »
Réflexion à propos d’une femme traitée de « pute privilégiée », après un accident de train pour avoir tweeté qu’elle espérait que son violon soit intact
« La chose formidable avec les réseaux sociaux, c’était qu’ils donnaient une voix à ceux qui n’en avaient pas. Ne les transformons pas en un monde où le meilleur moyen de survivre est de redevenir silencieux. »
« La phrase sur le fait que nous ne nous sentons pas coupables durant une humiliation parce que « le flocon de neige n’a pas à se sentir responsable de l’avalanche » vient de Jonathan Bullock. »
*shitstorm : littéralement traduisible par « tempête de merde » en français, ce terme désigne de façon familière un raid en ligne c’est-à-dire une attaque massive, souvent concertée, durant laquelle de nombreux internautes envoient chacun un ou plusieurs messages agressifs à une seule et même personne.
Dans le manuel d’auto-défense #DompterLesTrolls vous trouverez à partir de la page 113 un chapitre entier sur la « shitstorm » et la façon de gérer les crises, que nous en soyons victimes nous-mêmes ou que nous voulions soutenir quelqu’un d’autre.
Lien vers l’ouvrage de Jon Ron