“Quand est-ce qu’on la gode au fer rouge ?” n’est pas un appel au viol… mais une #RéférenceLittéraire !

J’ai porté plainte en juillet 2016 suite à un tweet particulièrement violent. J’ai choisi de témoigner ici de la façon dont les choses se sont déroulées. Si vous ne l’avez pas déjà lue, il y a une première partie où vous trouverez une description des faits, du contexte et le détail de la procédure, voici maintenant le récit de l’audience qui s’est tenue récemment et la façon dont j’ai vécu toute cette affaire.

Je remets ici le tweet le tweet dont il est question : 

Ce tweet a été effacé depuis et le compte émetteur supprimé.

Le raid numérique

Une dizaine de jours avant ce tweet, j’avais essuyé mon premier raid numérique. Des centaines de tweets insultants avaient fait irruption dans mes mentions en quelques heures avec le hashtag #TaGueule2vanssay. Ceux qui ont vécu ce type d’expérience savent qu’elle est profondément déstabilisante et très violente : je me suis sentie responsable de l’avoir déclenchée, j’ai reçu de plein fouet la haine de gens que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas, ou peut-être que si, en fait je ne savais même pas… j’ai eu l’impression que tout le monde voyait cette boue se déverser, que c’était forcément au moins en partie vrai puisqu’il y en avait autant… les déformations et surintéprétations répétées m’ont fait douter de ce que j’avais dit, voulu dire, de ce que je pensais même !

J’étais perdue, aspirée, engloutie, à l’affût du prochain tweet, je scrollais et rafraîchissais compulsivement en me demandant ce qui allait apparaître d’encore pire que les messages précédents et surtout je me sentais TOTALEMENT impuissante ayant conscience que chaque réaction de ma part ne ferait que relancer l’agressivité et augmenter le nombre et l’intensité des agressions. Je n’arrivais plus à dormir, une hypervigilance angoissante avait pris le dessus, ce qui évidemment augmentait en même temps que ma fatigue l’impression déprimante que cela ne cesserait jamais. 

Depuis j’ai pris du recul, vécu d’autres raids, soutenu de nombreuses personnes qui subissaient des situations de crise et je sais que cette phase où se sent noyé est transitoire mais à l’époque cela a été vraiment compliqué à gérer et j’ai mis du temps à m’en remettre complètement, mon estime de moi avait été sérieusement entamée. Ayant maintenant acquis de l’expérience j’ai partagé des conseils pour gérer les situations de crise que vous trouverez dans ce billet.   

L’appel au viol

Puis est survenu le tweet de @Kripure, une dizaine de jours plus tard, tweet tout à fait inattendu parce que je n’avais jamais échangé avec lui (ni parlé de lui) sur Twitter, incroyablement inapproprié dans le contexte pédagogique du message auquel il réagissait et appelant à commettre à mon encontre un acte de viol et de torture absolument dégradant et inadmissible.

J’ai été sidérée, me suis demandé, et me demande toujours, comment mes propos sur Twitter ont pu provoquer une détestation de ma personne rendant possible une telle menace ! Je pense, mais je me trompe peut-être, que quelque part le raid essuyé quelques jours plus tôt avait ouvert des vannes, faisant de moi une sorte de poupée vaudou dans laquelle chacun peut à loisir planter son aiguille quand il est en colère, en désaccord avec moi ou a juste besoin de se défouler !

Je sais intellectuellement que la menace de viol est une tentative de prise de pouvoir et exprime une volonté de destruction psychologique de la femme visée, mais qu’un enseignant se sente autorisé à tweeter cela, publiquement en invitant ses followers à s’en prendre ainsi à moi se heurte à ma profonde incompréhension.

J’ai pris sur moi pour refuser de me faire des films où l’auteur du tweet ou un de ses followers, ayant perdu tout sens commun, viendrait physiquement s’en prendre à moi mais cela n’a pas été évident même si c’était objectivement peu probable, cela me faisait peur et la peur ne se contrôle pas. Je tweete sous mon identité, c’est un choix que j’assume totalement pour ce que je diffuse, par contre pour ce que l’on dit de moi, c’est parfois très flippant. J’ai passé à nouveaux de très mauvaises nuits, ai sursauté quand je croisais un inconnu dans l’escalier de mon immeuble ou au bureau, me suis surprise dans le métro à exercer une hypervigilance me demandant si l’un ou l’autre des passagers pouvaient être un hater de Twitter prêt à m’agresser…

Heureusement cela n’a pas trop duré, n’est pas devenu envahissant mais ça aurait pu. J’ai la chance d’être plutôt solide, bien entourée et il se trouve que j’ai vécu et surmonté dans mon passé une situation IRL bien plus traumatisante qui m’a permis de relativiser. Néanmoins ce message appelant à m’agresser n’a pas été anodin pour autant.

Une audience éprouvante

Un peu plus de 3 ans ont passé, et me voilà début octobre 2019 prête à affronter l’audience. Comme expliqué dans la première partie la qualification “d’appel au viol” n’a pas été retenue par la justice, il restait juste la diffamation. J’étais déçue de cela mais confiante, la justice a ses codes, ses raisons, ses usages, mais je ne doutais pas d’être entendue et qu’une condamnation, probablement légère et de principe, viendrait confirmer que ce tweet était inacceptable aux yeux de la Loi. Ceux qui me connaissent savent que je suis une indécrottable optimiste avec une lourde tendance à la naïveté… 

Je suis donc venue à l’audience au tribunal de grande instance de Paris, accompagnée par mon avocate et une amie. La séance était publique, et j’ai choisi de ne pas venir avec des proches, ni d’ailleurs ne les ai sollicités pour des témoignages écrits (attestations) dans le cadre de la procédure, car je ne voulais pas les exposer. Il est hors de question pour moi que mes proches soient à leur tour importunés ou soient utilisés pour m’atteindre. J’ai choisi de tweeter sous mon identité, je l’assume mais cela n’engage que moi ! 

Première surprise en arrivant, @Kripure n’était pas là… c’est son choix mais j’aurais vraiment apprécié de l’entendre répondre aux questions des magistrats et de pouvoir constater de visu s’il assumait vraiment les arguments utilisés pour sa défense. En ce qui me concerne je ne pouvais envisager de ne pas être présente, j’ai l’habitude d’affronter les situations même pénibles et d’assumer en personne mes actions, ici en l’occurrence d’avoir porté plainte et de l’avoir maintenue jusqu’au bout. 

J’ai répondu aux questions des magistrats que j’ai trouvées pertinentes et je me suis sentie humainement écoutée et comprise, cette perception était peut-être fausse mais j’ai vécu ce moment comme cela. Ensuite mon avocate a pris la parole et elle a déroulé les arguments montrant qu’il y avait selon nous diffamation. Non je ne me fous pas des profs qui bossent, mais au contraire mon travail militant quotidien au sein d’un syndicat consiste à les informer, les défendre et les soutenir. Ce fut assez étrange, et un peu humiliant aussi, de devoir rassembler des preuves et attestations montrant que oui je travaille “pour de vrai”, même si je n’ai pas d’élèves. Mes tâches et missions ont été égrenées, mes écrits professionnels comptabilisés et présentés, les attestations de mes collègues du syndicat produits. Mon avocate a précisé que la partie du tweet, non reconnue comme un “appel au viol” par la justice, relevait aussi de la diffamation et de l’atteinte à l’honneur car cela me présentait comme une victime disponible à la vindicte twitérienne. Tout ce qui a été présenté à l’audience par mon avocate a été pesé, éventuellement modifié, et validé par moi en amont. 

Je suppose qu’il en a été de même pour @Kripure et, quand j’ai entendu la plaidoirie de son avocat, j’ai mieux compris pourquoi, peut-être, il n’était pas là. Évidemment la façon dont j’ai reçu, vécu, interprété les arguments de la défense ne reflète pas forcément l’intention du mis en cause dont le but était de se défendre en suivant, j’imagine, les conseils de son avocat. Et il a eu raison de procéder ainsi puisqu’il a été relaxé. 

En entendant la défense, j’ai eu la désagréable sensation d’être non plus la victime, ou au moins la plaignante, mais l’accusée.

Je passe rapidement sur le fait avancé que @Kripure pensait que son tweet était privé, tous ceux qui connaissent son compte et sa maîtrise de Twitter savent que son compte a toujours été public et qu’il savait parfaitement utiliser les messages privés. Cet élément de défense est logique puisque si les propos ne sont pas publics c’est évidemment beaucoup moins embêtant judiciairement parlant. Il y a eu aussi mention de ses excuses à l’époque sur Twitter, dont j’ai fait aussi état et que je n’ai jamais niées. Jusque là, pas de souci particulier, ces éléments me semblaient logiques et attendus.

Plus surprenant a été d’entendre que ce tweet relevait du débat démocratique et syndical, que @Kipure appartenant à un syndicat en désaccord avec le mien, il était somme toute normal que des débats vifs aient lieu sur Twitter. Je cherche en vain dans le tweet incriminé ce qui relève du débat syndical… et bien sûr l’avocat de @Kripure a omis de préciser, mais peut-être l’ignorait-il, que ce dernier a été immédiatement démis de ses fonctions syndicales suite à ce tweet. J’ai trouvé cet argument en plus de son aberration, déloyal envers son syndicat que quelque part il semble associer à son message violent comme s’il avait été soutenu en ce sens, ce qui n’a pas été le cas. 

Puis est venu l’argument qui a fait fortement réagir les personnes présentes dans la salle d’audience : la référence littéraire ! En effet pour justifier le “quand est-ce-qu’on la gode au fer rouge”, l’avocat de @kripure, nous rappelant que ce dernier est agrégé de lettres anciennes, a brandi la référence littéraire. J’ignorais que “Les rois maudits” étaient une référence incontournable, j’avoue ne pas l’avoir lu… je ne suis pas agrégée. J’ai donc appris que l’acte dont je m’étais sentie menacée était en fait une simple référence à la mort du roi Édouard II, soupçonné d’être homosexuel, et qui aurait été sodomisé avec un fer chauffé au rouge avant sa mort dans un but de purification. Alors là, je me suis sentie vraiment prise pour une idiote, une inculte qui n’avait pas su saisir la référence qui évidemment exonère le professeur agrégé face à la simple professeure des écoles que je suis à l’origine. Le pire c’est qu’il me semble que cet argument n’était pas vraiment utile à la défense puisque “l’appel au viol” n’était pas le sujet de l’audience, mais je me trompe peut-être, il m’a semblé y voir une sorte de cerise ajoutée sur le gâteau de mon humiliation.

Enfin, il m’a été déniée par la défense le droit légitime de demander des dommages et intérêts au prétexte que j’avais tiré profit de cet histoire en écrivant un livre, avec en prime un sous-entendu selon lequel, évidemment, j’aurais écrit cet ouvrage (sans lien avec mon poste syndical) sur mon temps de travail. Et bien non, si effectivement j’ai écrit mon “Manuel d’autodéfense contre le harcèlement en ligne #DompterLesTrolls” en m’appuyant sur mon vécu, dont cette affaire (que je n’évoque absolument pas dans le livre), je l’ai bien écrit uniquement sur mon temps personnel. Ne pas m’en croire capable est une fois de plus très méprisant. Ensuite, même s’il se vend honorablement, mes droits d’auteur sont pour le moment largement en dessous du smic horaire par rapport au temps passé. Il n’est hélas, pas encore, un best seller. Et quand bien même, en quoi le fait d’avoir écrit suite à un dommage subi exonèrerait-il celui qui l’a causé ?!

À la fin de la plaidoirie de la défense, j’étais abasourdie mais pensait naïvement que ces arguments, que je trouve peu glorieux, ne pouvaient qu’avoir joués en défaveur de @Kripure… C’est alors que le magistrat représentant le ministère public a pris la parole disant que pour lui la diffamation n’était pas constituée car ce qui m’était imputé dans le tweet n’était pas assez précis.

Là j’ai eu le sentiment que j’avais fait toutes ces démarches et subi cette audience pénible pour rien, que je n’obtiendrais pas même un peu symboliquement au moins justice. La relaxe était requise et cela a été confirmé deux mois et demi plus tard.

En sortant de l’audience j’étais blême, tremblante, comme en état de choc, perdue et hébétée… il m’a fallu plus d’une heure de marche pour retrouver un peu de calme intérieur et réussir à rentrer chez moi. En arrivant j’ai très vite écrit ce que j’avais entendu et ressenti à l’audience, ce sont ces notes qui m’ont servi, maintenant que j’ai mieux digéré tout ça, à écrire ce témoignage. 

Un constat d’échec

Voilà, que dire ? Que je suis déçue et en colère, que je comprends mieux ceux qui ne veulent pas porter plainte, que cela explique aussi la pulsion que l’on peut avoir de se faire justice soi-même, que la culture du viol a encore de beaux jours devant elle… J’espère au moins que ce témoignage n’est pas complètement vain même si j’avoue avoir du mal à envisager son utilité. Peut-être que montrer que la justice ne fonctionne pas bien sur ce genre d’affaire peut contribuer à faire bouger les lignes. En ce qui me concerne je n’ai aucun regret même si je continue de payer cher, jour après jour, sur Twitter ma détermination à mener cette procédure jusqu’au bout et mon refus d’accepter en me taisant un dénouement injuste. Cet acharnement contre moi ne fait que montrer au grand jour à quel point cette prise de parole dérange et me convainc de ne surtout pas abandonner le terrain aux haters sur les réseaux sociaux.  

crédit image :  « Tales from the crypt » par quimo! licence CC BY-NC-SA 2.0