Sur le troll, par Thomas zététicien
Thomas C. Durand est un des créateurs de la chaine Youtube “La Tronche en Biais” et du blog “La Menace Théoriste” qui traitent de zététique, c’est-à-dire de « l’étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges »*. Ces contenus ne manquent pas d’attirer la controverse et inévitablement… des trolls !
Tenir une chaine de vulgarisation scientifique sur youtube avec pour thèmes récurrents les pseudo-sciences, le paranormal et divers types de croyances au sein desquelles on compte les théories du complot, c’est évidemment exercer une grande attraction envers de larges catégories de trolls désireux de dénigrer la science, conspuer toute version officielle de n’importe quoi, fantasmer des liens de collusion entre les vidéastes et les grosses industries polluantes qui sont les méchantes dans tous les films.
Selon mon expérience, le Troll est un Homo sapiens à peu près normal (souvent mâle semble-t-il) qui dispose d’un accès Internet et, dans un certain contexte, lâche la bride aux pires défauts rhétoriques que la plupart d’entre nous apprenons à ne pas employer car ils sont contre-productifs. Je mettrai de côté le « gentil » troll qui trompe son ennui en jouant le rôle de l’emmerdeur, car fuyant l’ennui, justement, il s’acharne peu. J’écarterai également le troll débile tout juste bon à ahaner des injures mal orthographiées, pour parler d’une forme plus sophistiquée et plus nuisible.
Le troll est un harceleur souvent doté d’une unique obsession** autour de laquelle il construit son rapport à la personne harcelée. Très motivé à l’idée de mettre à terre sa cible, il est dans le soupçon permanent, imagine des motivations, des objectifs cachés, et ses attaques personnelles sont dirigées vers ce qu’il croit avoir détecté qui échapperait aux autres. Il en tire la jouissance de se sentir puissant et perspicace.
Les défauts du troll sont les nôtres, exacerbés, démultipliés, ridicules. À ce titre il peut nous servir de leçon. Tel un enfant fier de ses bêtises, le troll n’a pas le recul pour voir que ses actes ne le grandissent pas. La faute peut-être à des lacunes dans son apprentissage des relations interpersonnelles. Je plaide pour que l’éducation prenne en compte un volet de « politesse rhétorique » où nous apprendrions tous à sanctionner immédiatement un manquement de type trollesque, tout comme nous traitons la grossièreté.
Je suis personnellement accusé d’être à la solde de Monsanto-Bayer par certains internautes qui ont cette accusation à la bouche pour à peu près tous ceux qui n’arrivent pas à leurs conclusions. Je suis une gauchiasse invétérée lorsque j’aborde les questions de déterminisme social, mais un dangereux fasciste quand j’évoque les facteurs biologiques de l’orientation sexuelle par exemple. Ces accusations viennent d’horizons très divers, mais ils ont en commun d’être le produit de grilles de lecture obnubilées par un ou deux concepts, articulées sur très peu d’arguments.
J’ignore si une stratégie de réponse suprême existe, mais j’ai quelques idées sur ce qu’il faut faire et sur ce qu’il ne faut pas faire.
Pour moi, l’indifférence est souvent la meilleure défense. Les trolls réclament de l’attention et prêcher dans le désert les ennuie. Si la nuisance est tolérable, je recommande donc de les laisser parler dans le vide. Toute réponse émotive qui laisserait transparaître (même faussement) que le troll vous a blessé doit être évitée. S’il flaire qu’il peut vous faire mal, il reviendra plus aisément à la charge. J’aime donc, quelquefois, jouer le jeu du troll-et-demi. Il s’agit de traiter par l’ironie les commentaires et réactions du troll en lui parlant comme à un petit enfant capricieux. En lui disant des choses gentilles, des encouragements, en faisant l’éloge de sa bonne volonté, de son orthographe de ses remarquables facultés physiques et intellectuelles. Bien entendu, ce genre de chose relève de la self-defense et aucunement de l’argumentation, et ce n’est jamais à utiliser quand votre contradicteur amène des arguments de fond.
Exemple plus ou moins fictif d’échange :
Troll — [Commentaire de troll énervé.]
Vous — Merci pour le commentaire. N’hésitez pas à partager notre travail. Bisou.
Troll — Toi t’es vraiment un [vilaine description] et ça se voit que tu es à la solde de [effrayant croque mitaine]
Vous — Merci de chercher à communiquer au mieux de vos capacités et d’instaurer un dialogue respectueux où chacun peut examiner les idées de l’autre. C’est très important pour nous que vous soyez à ce point ouvert.
Troll — [remarque agressive]
Vous — Bien sûr, vos arguments sont extraordinairement puissants, et vous convaincrez tous ceux qui liront votre message. La section commentaire sert justement à ce que des gens comme vous puissent tous nous aider à mieux prendre en compte la complexité de la question. Merci encore.
Troll — [etc.]
*Définition Wikipedia
**Sauf quand il se pique d’être polyvalent dans sa pseudo-expertise et soliloque avec la même aisance sur la physique quantique, la civilisation aztèque, la parapsychologie et le traité de Rome, parfois dans une même phrase.
Retrouvez ce témoignage (page 41) et d’autres dans le manuel d’auto-défense #DompterLesTrolls